Ils sont tous là, chacun à leur façon.
À l’abri d’un rideau fermé, nous sommes réunis une poignée de minutes avant que tout recommence. Nous formons la piste dans ce théâtre où tout se joue ce soir. On échange quelques mots puis les bâtons sont distribués. Chacun est attiré par celui qui les donne ou par ce qui est donné ou pas. Mes pieds sont bien à plat sur le plancher qu’un marley noir recouvre. Nous sommes le décors, nous sommes cette cellule, nous sommes le cercle. Je fais le tour du monde, dépose mon regard sur chacun de mes amis, puis lève les yeux au ciel. Je m’étire en arrière avant de rejoindre la terre et de faire le lien. Je jette un coup d’œil furtif à notre grenier pour peut-être y apercevoir Manu... Maintenant, le genou déposé comme un chevalier, je prends contact avec le sol du creux de ma main. Je respire. J’essaye de sentir les autres autour de moi, de les ressentir sous moi. Mon souffle s’enfonce profondément dans l’immense terre. Je suis si petit.
C’est le moment de se lever. Je serre mon bâton et j’élargis mon regard. Je vois partout et je suis prêt à le lancer. Ça fait plus de 4 ans que je lance des bâtons pratiquement un jour sur trois. Il y en a environ une dizaine qu’on s’envoie de façon aléatoire. Derrière cet acte anodin se cache tout un monde fait de gens et de choses que j’aime. Quand je lance mon bâton c’est qu’il y a quelqu’un pour le rattraper. Personne ne se cache, tout le monde est présent. On se projette dans le bâton pour que quelqu’un nous rattrape. On se lit, on se dévoile, on se lie. On ne triche pas. Parfois on s’empresse, parfois on est trop lent ou trop maladroit, parfois on rate. Ça fait partie du jeu. Quand une personne manque un bâton, tout le monde s’arrête. On prend ce temps pour se réaligner s’il le faut. On accuse tous ce coup sans le rendre coupable. Tomber ça arrive. Alors on va tous au sol donner sa main à la terre, pour être au même niveau – au plus bas – pour ensemble reprendre cet appui et se relever. On joue comme ça pendant quelques minutes à se lancer des bâtons. On est sérieux et on rit. Parfois on pleure ; ça peut remuer d’être si vrai et si là. Surtout quand on joue longtemps avec les mêmes personnes et que celles-ci à un moment quittent la partie.
D’autres fois, quand l’énergie est trop présente et que les bâtons s’échappent dans tous les sens, il arrive que l’un d’entre nous se «sacrifie». Il marche tranquillement vers le centre du cercle pendant qu’au dessus et autour de lui les bâtons volent. Il nous invite à canaliser notre énergie, à nous rejoindre, à lancer et rattraper. Nous devons le protéger lui qui ferme les yeux et qui nous livre sa confiance. Il nous représente tous et par lui nous nous retrouvons.
Et bien sûr il faut finir, retourner à la terre, ramasser les bâtons et les ranger. Mais avant ça chanter ensemble, chanter ces airs qui viennent d’ailleurs. Nous avons une voix aux multiples couleurs et c’est elle qui racontera le spectacle. Et se prendre dans nos bras ; en s’aimant, on portera le public encore plus loin.
Puis tout recommence, toujours pareil, toujours différent, simplement unique !
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